Présentation – Les raisons de la création…

Institut Européen de Recherche sur la Politique de l’Eau
Un choix pour la “Res publica”

1. Les raisons de la création du nouvel institut sur la politique de l’eau

Nos sociétés sont en train de vivre deux grandes «tensions», contrastées.
D’une part, la marchandisation de la vie (des espèces vivantes, des gènes, de l’eau, de la connaissance, de la santé, de l’éducation, de la sécurité collective…). Elle ne cesse de progresser, partout dans le monde. Le principe de la primauté de l’argent, de l’enrichissement individuel et de la possession privée des biens et services essentiels à la vie domine sans rivaux. Au-delà des tendances fortes en faveur de la privatisation de la gestion des services hydriques et de leur libéralisation, la marchandisation de l’eau est bien entrée – et acceptée – dans nos têtes à partir du moment où tout le monde semble être d’accord pour considérer l’eau « l’or bleu » du XXI siècle.

D’autre part, jamais la conscience mondiale des graves dangers qui menacent le devenir de l’humanité et la vie sur la planète au plan climatique, politique, social et culturel, et de la nécessité et urgence de solutions mondiales, axées sur la modification de notre mode de production, de distribution et de consommation de la richesse, n’a été aussi vive et diffuse comme à l’heure actuelle. Qu’il s’agisse des groupes dirigeants ou des mouvements populaires de lutte sociale, l’exigence de rechercher de solutions nouvelles à la mondialisation de la condition humaine et des problèmes de survie, en particulier des problèmes d’eau, est réelle et croissante.

Ainsi, par rapport à l’eau (et à tout ce qui dépend de l’eau: santé, agriculture, activités industrielles…), les termes de la bifurcation devant laquelle est confrontée la politique de l’eau, pour faire face au défi mondial de la vie, sont les suivants :

– eau « besoin vital » versus eau « droit humain »,

– eau « bien privé/bien de consommation », objet de rivalité et d’exclusion; marchandise « libre » » soumise aux mécanismes d’échange/prix sur le marché versus eau bien public/bien commun, patrimoine de l’humanité et des espèces vivantes,« réglé » par les principes du droit à la vie pour tous, y compris les générations futures, et de la responsabilité collective,

– la politique de l’eau comme expression de la souveraineté, sécurité et puissance nationale versus la politique de l’eau comme expression de la responsabilité et de l’autonomie des communautés « locales » en grappes de souveraineté partagée et de solidarité entre les communautés, les villes, les régions, les peuples, au sein d’une communauté mondiale dont il convient, à partir de l’eau, de définir et mettre en place des formes d’institutionnalisation dépassant les limites du cadre des Nations Unies,

– politique de l’eau privilégiant la culture de l’offre (technologie, grands travaux, libéralisation des marchés, financiarisation privée de l’économie de l’eau…) versus la politique de l’eau privilégiant la culture de l’usage (droit pour tous, sauvegarde de la ressource, réduction de la « consommation », approche éco-systémique, participation des citoyens) ;

– eau, futur de conflits et de guerres versus eau, futur de coopération et de paix.

Le choix du caractère «européen» de l’Institut s’explique, au-delà de la « nationalité » européenne de ses promoteurs et de son implantation en Belgique, par le fait que « l’industrie » de l’eau en Europe constitue, pour le moment, le « système » le plus important et influent au monde dans le domaine de l’eau :

– sur les 10 premières entreprises multinationales privées de l’eau, 9 sont européens dont 3 françaises (N° 1, 2 et 4), cinq britanniques et une allemande. La « non-européenne » est une entreprise américaine. Elles sont fort actives dans la gestion des services d’eau en Afrique, en Amérique latine, en Asie, dans l’ex-« Europe de l’Est »,

– les deux plus importants groupes d’embouteillage et de vente d’eaux minérales au monde sont européens: Nestlé et Danone,

– les premiers et plus grands fonds d’investissement internationaux privés spécialisés dans l’eau sont européens,

– les entreprises les plus développées en matière de construction de barrages, de dépuration et de dessalement de l’eau de mer sont européennes…

Les français, les hollandais, les suédois, les allemands, par voies diverses, sont les populations qui, plus que d’autres, ont contribué à définir l’agenda politique, technique et culturel de l’eau à partir de la fin des années 70. La politique de l’eau de la Banque Mondiale reconnaît explicitement sa « dépendance génétique » de l’ « école française de l’eau » dans la définition de ses priorités et des moyens à mettre en place. Le Conseil Mondial de l’Eau est fortement influencé par les entreprises françaises et britanniques

« Last but not least », le rôle de l’Union Européenne dans la mise en ouvre des politiques nationales et internationales de l’eau sera de plus en plus important en raison, entre autres, des choix politiques que l’UE sera amenée à faire en matière du marché intérieur des services publics, de changement climatique, de l’agriculture et de développement des territoires. Signalons, également, que le Parlement européen a été la première instance parlementaire au monde à approuver à l’unanimité le 16 mars 2006 une résolution demandant la reconnaissance du droit humain à l’eau.
C’est dire que des nombreux éléments de la bifurcation se jouent, actuellement, en Europe.